
Je n’ai pas besoin de rappeler les frasques de Musk dans les derniers mois (et année) pour illustrer tous les risques qui exposent les fragilités d’une organisation. En janvier, le signe nazi (incontestable, malgré les cris d'orfraie des fanboys), était l’apothéose nauséabonde de cette dérive du patron de Tesla. L’image fait le tour du monde, suscitant indignation et appels au boycott. Au lieu d’apaiser la situation, Musk ironise sur X, rejetant les critiques et refusant de s’excuser. Tesla, dont l’image est intimement liée à son fondateur, se retrouve engluée dans une crise d’image qui aurait pu être évitée.
Cet épisode rappelle une réalité incontournable : une marque peut être brutalement projetée dans la tourmente par un incident, qu’il soit accidentel, stratégique ou lié à une figure publique. Mais toutes les entreprises ne réagissent pas de la même manière. Certaines sombrent, d’autres réussissent à rebondir. Quelles sont les crises les plus courantes et comment en sortir ? Quel est le rôle d’une marque dans ces temps de crise extrême? Essayons d'y voir plus clair...
Revenons d’abord sur la notion de crise.
Plusieurs chercheurs se sont penchés sur la typologie des crises afin de mieux anticiper, comprendre et répondre aux différents enjeux qui se présentent. Notamment, la théorie de la communication de crise de W. Timothy Coombs (2007) distingue, par exemple, les crises accidentelles, les crises causées par des erreurs évitables et celles résultant de comportements jugés répréhensibles. De son côté, Mitroff et Anagnos (2005) soulignent l’importance de détecter les signaux faibles et de classer les crises selon leur origine – qu’elle soit organisationnelle, environnementale ou technologique. En clair : la crise était-elle évitable? Si oui, quels étaient les indices de son imminence? Il revient à tout conseil d’administration (ou haute direction) d’être les gardiens de ces questions.
Quels types de crises?
Il existe de multiples causes qui poussent une organisation près du précipice. Attardons-nous uniquement sur celles qui touchent à la marque. Voici un inventaire rapide, et non exhaustif…
- Crise de santé publique — Un produit ou service présente un risque sanitaire majeur, nécessitant une réaction immédiate pour protéger les consommateurs — En 1982, Tylenol a rappelé tous ses flacons après que des capsules empoisonnées aient entraîné plusieurs décès.
- Défaillance — Un défaut technique ou opérationnel compromet la qualité et la sécurité du produit, érodant la confiance — Le Galaxy Note 7 de Samsung a été rappelé mondialement suite à des batteries défectueuses qui prenaient feu.
- Malversation — Des pratiques frauduleuses ou contraires à l’éthique sont révélées, sapant la crédibilité de la marque — Volkswagen a été secoué par le scandale Dieselgate, lorsqu’il a été découvert que ses tests d’émissions étaient truqués.
- Scandale — Un comportement ou message offensant, tel que des comportements racistes, est exposé, ternissant rapidement l’image de la marque — En 2018, l'arrestation de deux hommes noirs dans un Starbucks a déclenché une onde de choc médiatique sur le racisme.
Dans tous les cas, on peut séparer plusieurs origines de la crise
- Consommateur — Quand le comportement viral ou détourné des consommateurs crée un risque imprévu pour la marque. Le phénomène Tide Pods Challenge, où certains internautes incitaient à ingérer des capsules de lessive, mettant en danger la sécurité des utilisateurs.
- Produit — Quand une caractéristique défectueuse ou mal conçue du produit remet en question sa sécurité ou sa qualité. Toyota Pedalgate, lié à des problèmes techniques sur les pédales d’accélération qui ont compromis la confiance des clients en matière de sécurité.
- Organisation — Quand les pratiques ou décisions internes, ou une culture d’entreprise inadéquate, déclenchent une crise d'image globale. Uber, confronté à une série de scandales internes et une culture toxique, qui ont conduit à une perte massive de confiance publique.
- Marque — Quand un changement d’identité, tel qu’un changement de logo, est mal perçu par les consommateurs, créant une rupture avec l’image historique de la marque. Le changement de logo de Gap en 2010, qui a suscité une réaction négative massive et contraint la marque à revenir rapidement sur sa décision.à
- Fondateur/CEO/Porte-Parole — Quand les propos ou comportements d’un leader emblématique ternissent la réputation de la marque. John Galliano, dont les déclarations offensantes ont entraîné son renvoi et nui à l’image de la maison Dior.
Dès lors, il devient intéressant de regarder de plus près l’exemple de certaines marques que j'ai suronmées Phénix, qui ont survécu aux dérapages.
Juste pour Rire et l’après Gilbert (2017-2018)
Le festival Juste pour Rire a été frappé de plein fouet par le scandale Gilbert Rozon, son fondateur, accusé d’inconduites sexuelles dans le sillage du mouvement #MeToo. L’affaire a ébranlé l’image du festival et provoqué une vague de départs d’artistes et de partenaires.
La solution? Une rupture nette avec le passé. Rozon a vendu ses parts, une nouvelle gouvernance a été mise en place et des personnalités publiques comme Howie Mandel ont investi pour restaurer la crédibilité du festival. Juste pour Rire a mis de l’avant une politique de tolérance zéro et de nouvelles valeurs éthiques. En quelques années, le festival a retrouvé son attrait — mais pas encore son éclat — et surtout une nouvelle famille, Comédia!
Lassonde et la poursuite Oasis (2012)
Industries Lassonde, propriétaire de la marque Oasis, engage en 2012 une poursuite judiciaire contre une petite entreprise québécoise, Olivia’s Oasis, pour l’utilisation du mot « Oasis ». L’affaire tourne rapidement au désastre de relations publiques, l’opinion publique dénonçant l’acharnement d’un géant contre une petite entrepreneure.
Après un bad buzz massif, Lassonde fait volte-face et annonce qu’elle rembourse tous les frais judiciaires de l’entreprise poursuivie. Elle adopte une posture d’écoute et de rapprochement avec les consommateurs québécois. Bien que le scandale ait temporairement terni l’image de la marque, Lassonde a su calmer la tempête en faisant marche arrière et en reconnaissant l’erreur stratégique.
Nike et le scandale du travail des enfants (années 1990-2000)
Nike fait face à une tempête médiatique mondiale lorsqu’il est révélé que l’entreprise sous-traite une partie de sa production dans des usines asiatiques employant des enfants et pratiquant des conditions de travail abusives. L’image de la marque est gravement ternie, avec des appels au boycott et des manifestations.
Nike prend des mesures drastiques : audits rigoureux des fournisseurs, fin des contrats avec les usines non conformes, augmentation des salaires et transparence sur ses pratiques de production. L’entreprise communique aussi activement sur ses engagements en matière d’éthique. Nike regagne progressivement la confiance du public et devient un modèle en matière de responsabilité sociale d’entreprise, bien que des controverses ponctuelles ressurgissent encore aujourd’hui.
Toyota et le scandale des rappels massifs (2010-2012)
Toyota, réputée pour sa fiabilité, est frappée par une crise majeure lorsqu’un défaut technique causant des accélérations involontaires entraîne plusieurs accidents mortels. L’entreprise est contrainte de rappeler plus de 10 millions de véhicules à travers le monde, provoquant une onde de choc dans l’industrie automobile.
Toyota assume ses responsabilités, rappelle massivement les véhicules, améliore ses protocoles de contrôle qualité et met en place une nouvelle politique de gestion de crise pour éviter qu’une telle situation ne se reproduise. Malgré un coup dur temporaire, Toyota regagne sa position dominante et demeure aujourd’hui le plus grand constructeur automobile mondial.
Apple et le « Bendgate » (2014)
À la sortie de l’iPhone 6, des utilisateurs signalent que le téléphone se plie trop facilement dans les poches, donnant naissance au scandale du « Bendgate ». La controverse enfle sur les réseaux sociaux, avec des vidéos virales montrant la faiblesse de la conception.
Apple commence par minimiser le problème, mais face à l’ampleur de la polémique, la marque adopte une approche plus proactive. Elle renforce discrètement la structure des modèles suivants, tout en insistant sur les autres innovations de l’iPhone. Le scandale est vite éclipsé par les nouveautés technologiques, et Apple continue de dominer le marché du smartphone.
Le script de sortie de crise
Voici ce que nous pouvons retenir de ces exemples, les étapes à respecter pour une sortie de crise élégante.
- Réagir rapidement et avec transparence — Une crise d’image exige une réponse immédiate. Attendre ou minimiser les faits ne fait qu’aggraver la situation. Une réaction rapide, basée sur des faits et des excuses sincères, permet de reprendre le contrôle du récit et d’éviter que la marque ne perde définitivement la confiance du public.
- Assumer la responsabilité et s’excuser sincèrement — Reconnaître ses torts est une étape clé pour apaiser la crise. Des excuses accompagnées d’actions concrètes permettent de démontrer une réelle prise de responsabilité. Même si la première réaction peut parfois être maladroite, il est essentiel d’écouter les parties prenantes et de rectifier rapidement le tir.
- Poser des gestes concrets pour corriger la situation — Les paroles ne suffisent pas, il faut des actions tangibles. Investir dans des solutions durables, revoir les pratiques internes et indemniser les personnes affectées sont des étapes essentielles pour restaurer la crédibilité et montrer que l’on apprend de ses erreurs.
- Écouter les parties prenantes et regagner leur confiance — Une marque ne peut se reconstruire seule. Prendre en compte les attentes du public, dialoguer avec les parties concernées et adapter sa stratégie sont des éléments clés pour éviter l’arrogance ou l’inaction.
- Changer ce qui doit l’être (structure, culture, dirigeants) — Une crise d’image profonde nécessite souvent des changements en interne. Revoir la gouvernance, ajuster les processus et afficher clairement une rupture avec les éléments problématiques permettent de démontrer une réelle volonté de transformation.
- Rester fidèle à sa mission et ses principes — En période de crise, les marques qui survivent sont celles qui réaffirment leur raison d’être. Rester cohérent avec ses engagements et démontrer une intention authentique permet d’éviter l’accusation d’opportunisme et de reconstruire une relation de confiance.
La marque est un bouclier
Une marque forte agit comme un bouclier en temps de crise, absorbant les chocs et offrant une protection à l’entreprise. Apple, malgré le « Bendgate », a su détourner l’attention grâce à son aura d’innovation et la fidélité de ses clients. Nike, après le scandale du travail des enfants, a rebondi en transformant son image en symbole de responsabilité sociale. Une marque bien construite peut encaisser une crise et faciliter la rédemption, tant qu’elle existe indépendamment de ses dirigeants. À l’inverse, Tesla illustre ce qui se passe quand la marque est totalement fusionnée avec son PDG. Elon Musk étant l’incarnation même de Tesla, ses controverses deviennent immédiatement celles de l’entreprise. Cependant, il convient d’avouer que cette stratégie a beaucoup servi Tesla jusque-là, alors que Musk était considéré comme un grand novateur en guerre contre les pétrolières du monde d’avant. D’autre part, Tesla n’a dépensé AUCUN budget marketing, et est devenu un des plus grands constructeurs mondiaux. Une véritable prouesse… qui se retourne aujourd’hui contre l’organisation.
Contrairement à une marque forte qui protège l’organisation, Tesla est un paratonnerre inutile : chaque scandale touche directement l’entreprise, sans filtre ni amortisseur. Sans une marque autonome, la réputation de Tesla est constamment exposée aux frasques de son dirigeant, rendant toute gestion de crise presque impossible.
Ce qu'il faut retenir
Les marques phénix nous enseignent qu’aucune crise d’image n’est insurmontable. Avec une préparation rigoureuse, une communication honnête et des actions fortes alignées sur les valeurs de l’entreprise, il est possible de regagner le cœur des consommateurs et de reconstruire, pas à pas, un capital de marque durable. Les épreuves surmontées peuvent même devenir une source d’apprentissage et de renforcement, afin qu’à l’avenir la marque soit encore plus résiliente face aux coups durs. Comme le montrent ces exemples québécois et internationaux, tomber n’est pas fatal – c’est la façon de se relever qui définit véritablement la force d’une marque.
Gaëtan est le fondateur de Perrier Jablonski. Créatif, codeur et stratège, il est aussi enseignant à HEC (marque-média), à l'École des Dirigeants et à l'École des Dirigeants des Premières Nations (pitch, argumentation). Certifié par le MIT en Design Thinking et en intelligence artificielle, il étudie l'histoire des sciences, la philosophie, la rhétorique et les processus créatifs. Il est l’auteur de deux essais et de plus de 150 articles sur tous ces sujets. Perrier Jablonski est une firme stratégique unique en son genre : à mi-chemin entre la recherche et la stratégie, nous sommes habitués à résoudre des problèmes complexes en faisant notre propre recherche anthropologique. La co-création, la technologie et l'I.A. sont intégrés à tous nos processus pour livrer les recommandations stratégiques les plus réalistes et les plus ambitieuses. En près de 10 ans, nous avons mené plus de 400 missions, dirigé plus de 2000 entrevues, et formé plus de 16 000 personnes pour près de 180 clients.
subject
Bibliographie et références de l'article
L'I.A. a pu contribuer à cet article. Voyez comment.
- Nous utilisons parfois des outils de LLM (Large Language Models) tels que Chat GPT, Claude 3, ou encore Sonar, lors de nos recherches.
- Nous pouvons utiliser les outils de LLM dans la structuration de certains exemples
- Nous pouvons utiliser l'IA d'Antidote pour la correction ou la reformulation de certaines phrases.
- ChatGPT est parfois utilisé pour évaluer la qualité d'un article (complexité, crédibilité des sources, structure, style, etc.)
- Cette utilisation est toujours supervisée par l'auteur.
- Cette utilisation est toujours éthique :
- Elle est transparente (vous êtes prévenus en ce moment-même),
- Elle est respectueuse des droits d'auteurs — nos modèles sont entraînés sur nos propres contenus, et tournent en local lorsque possible et/ou nécessaire.