Kaffa
Nous sommes au IXe siècle en Éthiopie, dans la région de Kaffa. Un berger nommé Kaldi garde ses chèvres. Un beau matin, il observe que son troupeau est surexcité, que ses animaux semblent animés d'une énergie inhabituelle. Après une brève enquête, il découvre que ses chèvres ont grignoté... des baies de caféier. De retour au village, Kaldi alerte les moines locaux. Ces derniers expérimentent et finissent par créer une infusion nouvelle avec ces baies.
Le café venait de naître.
Lentement, la consommation de café va s'étendre dans le monde arabe, devenant une boisson populaire au Yémen, à la Mecque et à Médine. Le café, valorisé pour ses propriétés stimulantes, était utilisé par les moines soufis yéménites pour rester éveillés pendant leurs longues prières nocturnes. Ces racines sont encore présentes dans le vocabulaire. Café vient du mot arabe « qahwah » (قهوة). Le mocha fait référence à Moka, la capitale du Yémen. L'arabica et le robusta (dérivé lointain de bunn — grain de café en arabe) sont d'autres traces indélébiles des origines du café.
Venise
C'est en 1615 que des marchands vénitiens vont rapporter ce nouveau breuvage dans leurs soutes et le faire découvrir à l'Europe. Les débuts sont hésitants. À son arrivée, le café suscite à la fois curiosité et méfiance. Certains le considèrent avec suspicion, le qualifiant de « vin d'Arabie ». Mais malgré ces réticences — notamment dues à des considérations religieuses et de santé —, le café gagne progressivement en popularité auprès de la noblesse. Il est alors perçu comme une curiosité exotique et coûteuse, principalement accessible aux classes supérieures.
Puis, en 1645, le café devient un lieu. On ouvre un premier établissement à Venise. Un lieu élégant, plutôt fréquenté par l'aristocratie et la bourgeoisie aisée.
Oxford
Le café infuse l'Europe et arrive en Angleterre. Et c'est grâce aux étudiants qu'il va percer la société britannique peu encline aux nouveautés.
En mai 1637, le jeune étudiant étranger venu de Crète, Nathaniel Conopios va préparer et servir le premier café jamais dégusté en Angleterre devant quelques étudiants ébahis du Balliol College.❶
En 1650, Jacob — un juif d'origine libanaise (certaines sources disent arménienne) — a l'idée d'ouvrir un établissement pour faire découvrir le nouveau nectar aux Anglais. Il s'installe au pied de l'hôtel Angel, et fait inscrire au-dessus de la porte «The Grand Café». Mais son idée est différente de celle des Vénitiens.
Contrairement aux Italiens, Jacob ouvre ses portes à tout le monde, et pas seulement aux aristocrates. Des artistes, des ingénieurs, des scientifiques, des poètes, des curieux, des philosophes et des badauds se mélangent, et les discussions se passionnent. Cette année-là, Jacob n'avait certainement pas idée de la révolution intellectuelle qu'il venait d'introduire en Europe.
Il faut expliquer qu'avant Jacob, on se croisait aussi, on palabrait aussi, on débattait aussi. Mais on faisait tout cela... saoul. Les tavernes servaient principalement de la bière, du cidre, du Perry (cidre de poire), du vin importé, et — à de rares occasions — du genièvre (ancêtre du gin)... Mais jamais, Ô Grand Jamais d'eau — bien trop dangereuse à l'époque.
En 1650, Jacob venait d'inventer les brainstormings interdisciplinaires... à jeun.
Lueur de lumières
Le café devient un lieu d'échange entre clients sobres. Et les idées fusent. Le Grand Café attire les intellectuels, les artistes et les hommes d'affaires. Tout est chamboulé. Les idées, la politique et la culture. Alors, les cafés se multiplient en Angleterre, tout comme les séances de co-design.
À quelques miles de là, un groupe d'étudiants et de membres de l'université d'Oxford persuadent un certain Arthur Tillyard — apothicaire de son état — de préparer et de vendre du café à l'Université. En 1655, le Tillyard's coffeehouse devient un point de rencontre pour le groupe d'étudiants qui formeront le Oxford Coffee Club. Les philosophes et les savants d'Oxford s'y donnent rendez-vous. On y croise notamment l'inventeur de la chimie moderne, Robert Boyle. Professeurs et élèves se mélangent, pour discuter de leurs théories et leurs recherches. On débat, on philosophe, on se passionne. Cette confrérie informelle, en pleine expansion, va évoluer pour devenir la célèbre Royal Society, qui reste encore aujourd'hui l'une des principales sociétés scientifiques du monde.
Partout en Angleterre — et cent ans avant les Lumières françaises —, l'Angleterre venait de découvrir le mélange des disciplines, des concepts et des pensées. Pour la première fois, grâce à Tillyard — mais aussi à Jacob — mais aussi à Conopios — mais surtout au berger Kaldi —, on échangeait des idées nouvelles, avec les idées claires.
Controverses
De tout temps, les cafés ont posé des problèmes aux autorités. Au XVe siècle, le café a fait face à des résistances dans le monde musulman. Des interdictions ont été imposées à divers moments en Arabie et en Turquie, principalement pour des raisons religieuses et politiques. Les autorités craignaient que les cafés ne deviennent des lieux de rassemblement pour des discussions politiques et des rébellions. Au XVIIe siècle, le gouvernement britannique, inquiet des discussions politiques qui se tenaient dans les coffehouses, a tenté à plusieurs reprises de les réglementer ou de les fermer. Les autorités universitaires ont tout fait pour faire fermer le Oxford Coffee Club. Un siècle plus tard, le gouvernement français partageait les mêmes réserves pour les mêmes raisons — parce c'est là qu'on y préparait la Révolution française. Rien n'y a fait. Le café a survécu à toutes les autorités.
Et en passant, The Grand Café existe encore — c'est devenu un salon de thé. Décidément... tout fout le camp. 🙃
Ce qu'il faut retenir
Le café a joué un rôle crucial dans la culture sociale et intellectuelle du Moyen-Orient, avant de se répandre en Europe. Malgré les résistances et les interdictions, il a survécu et prospéré, devenant un élément central de la vie sociale et culturelle. Les cafés sont ainsi devenus des lieux d'échanges, de débats et de réflexions collectives, où les artistes, les scientifiques, les poètes, les philosophes ou les curieux venaient mélanger leurs savoirs, leurs interrogations, leurs pensées... bref, leurs idées.
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