La fenêtre d'Overton et la gestion de changement

La fenêtre d'Overton et la gestion de changement

Gaëtan Namouric
La gestion du changement est devenue une compétence essentielle pour rester compétitif. Toutefois, gérer le changement au sein d’une organisation ne se limite pas à la simple introduction de nouvelles politiques ou technologies. Il s'agit plutôt de transformer progressivement les perceptions, les comportements et, parfois, la culture organisationnelle dans son ensemble. Ouvrons la fenêtre d'Overton et voyons comment elle peut nous aider.
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Gaëtan Namouric + Midjourney (6.1)

Qu'est-ce que la fenêtre d'Overton ?

La fenêtre d'Overton est une théorie qui décrit la gamme des idées ou des politiques acceptables à un moment donné dans la société. Imaginée par Joseph P. Overton, cette "fenêtre" représente l’espace des idées perçues comme raisonnables, où les décisions politiques peuvent être prises sans provoquer un rejet massif. Cette fenêtre évolue au fil du temps, sous l’influence de discours, de pratiques sociales ou politiques, permettant d’élargir ou de rétrécir la portée des concepts acceptables.

Dans une organisation, cette théorie peut s’appliquer au changement de mentalités, d’habitudes ou de structures. La gestion du changement devient ainsi une question de déplacement progressif de cette "fenêtre" d’acceptabilité au sein de l’entreprise. Ce déplacement se fait par petites étapes, de manière à rendre des idées autrefois jugées irréalisables progressivement normales, puis incontournables.

Voici les étapes de la fenêtre d'Overton :

  • Impensable (Unthinkable) — À cette étape, l'idée ou la politique en question est considérée comme totalement inacceptable. Elle est en dehors des normes sociales ou organisationnelles, et même évoquer cette idée pourrait provoquer une réaction de rejet. C'est une notion perçue comme extrême, radicale, ou moralement répréhensible.
  • Radical — Cette étape se réfère à des idées qui, bien que toujours considérées comme marginales ou controversées, commencent à être discutées par certains groupes. Elles restent néanmoins éloignées du centre des débats et sont souvent défendues par des partisans perçus comme radicaux.
  • Acceptable — À ce stade, l’idée, bien qu'encore nouvelle, entre dans le domaine de la discussion sérieuse. Elle est de plus en plus acceptée par des groupes influents, et bien que certains la critiquent encore, elle n’est plus considérée comme choquante ou inapplicable.
  • Sensible — L’idée commence à être perçue comme une option raisonnable et viable. Elle devient un sujet de débat légitime, et même ceux qui la critiquaient auparavant la considèrent désormais comme une solution potentiellement rationnelle et logique.
  • Courant dominant (Popular) : À cette étape, l’idée est devenue largement acceptée. Elle est désormais perçue comme étant dans les limites du raisonnable et du faisable. Ce qui était autrefois radical est maintenant communément admis par la majorité.
  • Politique établie (Policy) : À ce dernier stade, l’idée est devenue une politique ou une norme courante. Elle fait partie intégrante du cadre sociétal ou organisationnel. Elle est institutionnalisée et largement adoptée, à tel point qu'elle n'est plus remise en question.

De l'impensable à l'acceptable

Voyons maintenant comment appliquer la fenêtre d'Overton dans le quotidien avec un sujet brûlant, le retour au bureau.

  1. Promouvoir l’impensable : Le point de départ consiste à introduire dans le débat des idées ou des pratiques qui semblent totalement inacceptables, voire provocatrices. L’objectif ici n’est pas de convaincre immédiatement, mais de créer une réaction émotionnelle ou intellectuelle. Par exemple, dans le cas du retour au bureau, au lieu de proposer un retour progressif, on pourrait introduire l’idée extrême d’un retour à 100 % au bureau, sans aucune flexibilité pour le télétravail.
  2. Déplacer la fenêtre vers le radical : Face à cette proposition extrême, les employés ou le public réagissent généralement avec réticence ou choc. Cependant, cette réaction ouvre un espace de discussion, et le simple fait d'en parler rend les idées moins radicales que l'on souhaite réellement promouvoir plus acceptables. En réaction à l’idée extrême (retour complet au bureau), une option radicale mais moins extrême (par exemple, un retour hybride avec trois jours au bureau et deux jours en télétravail) devient plus acceptable en comparaison.
  3. Faire accepter le radical comme une solution rationnelle : Une fois que l’idée radicale commence à paraître raisonnable, il devient plus facile de la positionner comme une solution pragmatique, voire rationnelle. À ce stade, les décideurs peuvent commencer à présenter des arguments fondés pour justifier le bien-fondé de cette solution. Pour reprendre l’exemple du retour au bureau, les entreprises peuvent mettre en avant les bénéfices du travail hybride : amélioration de la collaboration, renforcement de la culture d’entreprise, mais aussi une certaine flexibilité pour les employés.
  4. Rendre le radical acceptable, puis courant : Après avoir préparé le terrain, l’idée radicale (par exemple, un retour au bureau trois jours par semaine) devient progressivement une norme acceptée. Les employés finissent par voir cela comme une solution équilibrée, alors que, quelques mois plus tôt, elle semblait impensable. Avec le temps, cette pratique peut même devenir la norme dominante.

Pourquoi cette stratégie fonctionne-t-elle ?

Ce type de stratégie fonctionne parce que l'humain réagit souvent par comparaison et en relativisant ce qui lui est présenté. Une idée jugée impensable, lorsqu’elle est présentée en premier, modifie notre seuil de tolérance face à des idées plus raisonnables. En psychologie, on parle parfois de l'effet d'ancrage : en fixant une idée extrême comme point de départ, on influence la perception des propositions plus modérées.

Ainsi, pour les organisations cherchant à appliquer la fenêtre d'Overton à la gestion du changement, la promotion d'idées plus extrêmes au départ peut s'avérer une tactique efficace pour amener progressivement des changements significatifs qui paraissaient difficiles à faire accepter initialement.

Avertissement

Attention, la fenêtre d'Overton est à utiliser avec beaucoup de précaution. Comme pour les nudges, vous ne pouvez pas échapper à un questionnement  éthique dans ce type de stratégie. En effet, La fenêtre d'Overton est souvent utilisée en politique, notamment par les partis extrêmes, pour déplacer progressivement ce qui est jugé acceptable dans le discours public. En promouvant des idées initialement considérées comme impensables ou radicales, ces partis cherchent à élargir les limites de la fenêtre pour rendre leurs propositions plus modérées en comparaison. Par exemple, des partis d'extrême droite ou d'extrême gauche peuvent introduire des politiques ou des déclarations très provocatrices afin de pousser le débat vers des solutions perçues comme plus extrêmes. Une fois que ces idées radicales commencent à être discutées dans les médias et les espaces politiques, des propositions qui semblaient autrefois radicales – comme des réformes sévères sur l'immigration ou la redistribution économique – deviennent soudainement acceptables, voire légitimes. Cette tactique permet à ces partis de normaliser des idées qui étaient autrefois en dehors des limites du débat public, en déplaçant progressivement la fenêtre d’Overton vers leurs propres idéaux politiques. Alors... prudence.

Ce qu'il faut retenir

La fenêtre d'Overton décrit la gamme d'idées acceptables à un moment donné. Elle évolue sous l'influence des discours, allant de "l'impensable" à "la politique établie". En organisation, elle aide à introduire des idées extrêmes et à les rendre progressivement acceptées, grâce à l'effet d'ancrage. Prudence est requise pour éviter des dérives, notamment en politique.

Gaëtan est le fondateur de Perrier Jablonski. Créatif, codeur et stratège, il est aussi enseignant à HEC (marque-média), à l'École des Dirigeants et à l'École des Dirigeants des Premières Nations (pitch, argumentation). Certifié par le MIT en Design Thinking et en intelligence artificielle, il étudie l'histoire des sciences, la philosophie, la rhétorique et les processus créatifs. Il est l’auteur de deux essais et d’une centaine d’articles sur tous ces sujets.
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