Avertissement de distanciation
Le jeune philosophe est un pur-sang de la droite catholique française, maire-adjoint de Versailles et délégué à la Jeunesse et à l'Enseignement supérieur. Un esprit sain dans un corps sain de gendre parfait, de chemisette bien repassée et de curé de paroisse potentiel. J'exagère à peine, puisque notre candidat est engagé contre l’avortement, contre l’adoption par des parents du même sexe, contre le mariage gay, contre l'immigration telle qu'elle est pratiquée en Europe, etc. Bref Bellamy n’a pas les atours du « candidat pour la modernité ».
Mais... je l'ai déjà dit (et peut-être déjà répété), un livre n'est pas un concours de beauté ou de popularité. J'aime lire des auteurs pour savoir comment il pensent avant de m'arrêter à ce qu'ils pensent. Dans ce cas précis, je ne pourrais pas être plus éloigné des idées politiques de Bellamy, et je déplore même qu'un esprit si habile soit au services d'idées si nauséabondes. Cela étant clarifié, Bellamy est un philosophe efficace, dans le sens où il apporte un regard interrogateur sur notre époque. Aussi, cet essai Demeure n'est pas politique le moins du monde... et il est passionnant.
Par ailleurs, si les opinions les tendances politiques du philosophe n'ont pas échappées aux critiques littéraires, tous reconnaissaient l'étanchéité entre le Bellamy-auteur et le Bellamy-politicien.
Contre le changement sans but
D'abord, Bellamy se défend d’être conservateur, et son essai contre « l’ère du mouvement perpétuel » est un exercice rhétorique finement mené, qui le rend difficile à identifier politiquement. C’est que cet esprit précoce ne dénonce pas le changement en soi. Il dénonce le changement sans but précis. Il accuse notre incapacité à nous « poser » et à définir ce qu’il appelle des points fixes — que nous appelions autrefois des valeurs, mais en politique les valeurs sont devenues l’arguments des conservateur, alors que le mouvement est celui de la modernité. Bref, Bellamy mérite toute notre attention pour proposer un contrepoids crédible à la panacée du changement, et à notre béatitude technologique.
“Je ne suis pas contre le progrès, bien au contraire. Mais l'erreur du moment est de penser que tout changement est un progrès”✱. Pour Bellamy, face à la transformation du monde par des outils technologiques que nous ne maîtrisons pas, face à la menace de la crise écologique, le rôle de la politique est peut-être de défendre des repères et donner du sens à ce monde.
La fin de la fin?
Copernic et Galilée ont remis le monde en mouvement, le privant d’un coup de la stabilité rassurante d’un but à atteindre. Avant eux, il existait une fin, une ligne d'arrivée, un repos éternel. Depuis tout est changement perpétuel, il n'y a plus de repère absolue — il n’est même plus certain que nous ayons à mourir un jour. Notre monde repose sur un socle où tout est remis en question dans ce que Bellamy appelle un “progressisme sans destination”. Il faut désormais “définir des points fixes pour donner un sens”.
Fixe ou pas fixe?
Tout s’écoule, disait Parménide. Or, rappelle Bellamy, la rivière ne s’écoule que parce que la rive est fixe. Le mouvement ne vaut que s’il est observé d’un point fixe. Que donc c’est la fixité qui permet le mouvement. Mais au delà de la rhétorique abstraite, on peut questionner notre manque de destination. Nous allons tous quelque part. Nous y allons tous de plus en plus vite. Mais où allons-nous? « Où vas-tu Gilgamesh? » interrogeait le tout premier texte de notre civilisation.
Du mouvement au discernement
C’est la question que nous nous posons depuis l’aube des temps. Quel est notre but? Dans quelle direction? La quête de sens porte bien son nom. Finalement, Bellamy veut « sauver la possibilité du mouvement » en fixant des repères, et une destination et rappelle « qu’une chose est sûre : nous ne sortirons pas de la fascination du mouvement par l'éloge de l’immobilité », et propose « la sagesse du discernement ».
Tout changer!?
Aujourd'hui nous refusons la fixité. Nous voulons pouvoir négocier tout ce qui est. Nous ne supportons plus les limites spatiales, temporelles, biologiques. La technique nous a aidé a tout abolir. Nous voulons habiter sur Mars, voyager dans le temps, ou changer de sexe. Notre liberté ne supporte aucune dérogation. Le désir s’impose au déterminisme. Dès lors, l’idée s’est imposée que si tout peut changer alors tout doit changer. Oui mais pour aller où? Mais où vas-tu Gilgamesh?
Le rôle de la médecine.
Et la famille est un point fixe fondamental pour Bellamy, qui précise ses positions sur la procréation. Sa rhétorique contre la procréation assistée mérite une écoute impartiale — quelle que soit notre idée personnelle sur le sujet, ce qui n'est pas évident. Bellamy y voit le signe d’un changement de paradigme dans le domaine de la santé, qui passe de l’humain réparé à l’humain augmenté, en répondant à un “désir que notre condition humaine ne satisfait pas”.
Il pose ainsi la question du rôle de la médecine : doit elle répondre à tous nos besoins? Et cette question est parfaitement pertinente. Aujourd’hui personne ne peut contester l’utilité d’une couveuse pour sauver un prématuré, ni le pacemaker qui vient au secours de certains de nos aînés. Cette amélioration est un progrès indiscutable. Or il s’agit bien ici d’une médecine d’optimisation, d’un corps augmenté par la technologie.
Pensez maintenant à la grossesse extra-uterine demandée par certains groupes féministes de Californie pour une grossesse équitable, qui ne pénaliserait pas la mère — puisque la gestation se ferait totalement en dehors du corps. Au delà d’avoir été imaginée par Aldoux Huxley dans le Meilleur des mondes, l’ectogenèse est aujourd'hui une réalité, et les premiers tests ont été menés par Alan W. Flake et son équipe du Center for Fetal Research, de l'Hopital pour enfant de Philadelphie. Des agneaux nés hors-corps pour valider des recherches visant les humains. L'utérus artificiel, pour sauver de grands prématurés humains, ou pour éviter l'iniquité de la grossesse. Cette idée peut nous paraître choquante, farfelue ou immorale. Or il ne s’agit que d’une question d'époque. Au milieu du XIXe on étouffait les enfants enragés entre des matelas✱. Au début du siècle dernier on guérissait les femmes dépressives par la lobotomie, en perçant un trou dans le crâne. Aujourd'hui nos grands-papas vivent avec des piles électriques dans le cœur, et demain nos mamans accoucheront extra-utero.
Ce qui ressemble à un point fixe — la santé, la morale, la vie, la mort — est un repère mouvant, qui se déforme au gré des époques et des capacités scientifiques.
L'humain augmenté
Notre définition contemporaine de la santé date de 1945. L’Organisation mondiale de la santé à imposé cette définition encore en vigueur aujourd'hui : « la santé est un état de complet bien-être physique, mental et social. »(fn). Jusqu’alors, la santé, c’était « le silence des organes » d'après la définition délicieuse de Paul Valéry. Et demain?
L'humain augmenté existe déjà. Celui d'aujourd'hui est une bénédiction. Celui de demain est une abomination. Simple question de timing.
Bellamy continue son réquisitoire en s'attaquant à l’économie, qui n’a bien évidemment pas échappé à cette fluidité — l’économie du stock et du patrimoine a laissé la place à l’économie du flux. La valeur d’échange a remplacé la valeur d’usage. Rien n’est plus fait pour être conservé, tout est fait pour être échangé — le plus souvent possible, le plus rapidement possible. Aujourd'hui les échanges boursiers se font à une vitesse d’une fraction de seconde, on préfère louer que posséder, rien n’est pensé pour durer.
L'appétit du mouvement économique
Le travail aussi a changé. Autrefois il valorisait le métier, l’expérience, aujourd’hui il glorifie l’adaptabilité, la mobilité, la flexibilité. Tout le langage a changé. L’agilité a remplacé la sagesse. Et la « nouvelle économie » n’échappe pas à cet appétit du mouvement, entre les startups qui glorifient le démarrage — la mise en mouvement — et l’économie de « partage », qui consiste à faire de l’argent avec ce qui était autrefois gratuit. L’hospitalité, l’autostop, le prêt d’outils. Le bon vieux « coup de main » est devenue une « transaction ». Jusqu’à La Poste française, qui facture désormais le petit bonjour du facteur à 19,90 € par mois pour cinq minutes par semaine. Mais où vas-tu Gilgamesh?
Donc...
J'ai voulu faire le tour de la pensé de Bellamy, en la nourrissant d'exemples que j'ai pu moi-même pu observer. J'apprécie sa pensée des points fixes, du discernement et du jugement sur un avenir décidé. Je ne partage pas ses conclusions. Aucune d'elle. Bonne nouvelle, elles ne sont PAS l'objet de son essai — ce qui prouve que nous pouvons faire usage de sa réflexion et arriver à des destinations bien différentes. Alors je salue sa rhétorique, son courage et son bon sens, même si j'aurais préféré qu'il en fisse un usage différent, au service d'une cause plus laïque et moins manipulée.
Je vous souhaite une lecture sage et dépassionnée de "demeure", c'est un ouvrage riche, fort, et généreux.
Ce qu'il faut retenir
En questionnant notre époque sur son appétit pour le changement et la vitesse, Bellamy introduit l'idée du point fixe. Du repère. Du moral. Du connu. À nous alors de définir ce que nous demandons au changement. Voulons-nous l’innovation — simple rattrapage face au temps corrupteur ; ou bien le progrès — qui nous dirige vers un destin idéal mais qui questionne notre morale?
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