Épisode 1 - Des débuts timides
Nous sommes en 1997. Marc Randolph et Reed Hastings ont une idée géniale pour concurrencer Blockbuster et ses concurrents : utiliser l'Internet (qui n’en était qu’à ses débuts) pour offrir un service de location de DVD par correspondance — une révolution qui viendrait bientôt chambouler l’offre existante, qui nécessitait alors des milliers de boutiques physiques! Mmmm. Pas si vite.
C’est que… nous ne sommes qu’en 1997 et l’Internet est un truc de geek. L’accès au réseau est encore limité (seulement un tiers des Américains étaient alors connectés à leur modem). Ça limite leurs opportunités de croissance, et rapidement Netflix a de la difficulté à convaincre de nouveaux clients.
Épisode 2 — Le bogue de l'an 2000
Les ventes ne décollent pas. Alors on invente l'abonnement illimité : un prix fixe mensuel pour autant de locations que vous voulez! C'est insuffisant pour redresser la barre. On imagine ensuite Cinematch, un algorithme de recommandations personnalisées à chaque abonné selon son historique de visionnement! Super idée, mais... pas assez pour remonter la pente. La société affiche alors un déficit de 57 millions de dollars. Au bord du gouffre, Hastings doit trouver un plan B. B comme…
Épisode 3 — B comme Blockbuster
Nous sommes au 27e étage de la tour Rennaissance, à Dallas. Hastings et Randolph s'apprêtent à pitcher leur entreprise à... Blockbuster, c’était ça le plan B de Netflix. John Antioco, alors PDG du géant du divertissement, écoute poliment les jeunes Californiens. L’idée? Que Blockbuster rachète Netflix, et que Netflix devienne le service de location « en ligne » de Blockbuster. Combien? 50 millions de dollars. La réponse est immédiate : LOL. Ça sera non, donc.❶
Les deux jeunes fondateurs de Netflix ressortent dépités et humiliés. Pire encore, ils sortent de là sans solution, sans avenir. Quand soudain...
Épisode 4 — Le krasch
Nous sommes en 2001. Les places boursières, jusque-là envoutées par le potentiel des dotcom, se réveillent. Et le réveil est brutal. La bulle Internet éclate et les marchés financiers s'effondrent. C'est le grand ménage dans les valeurs internet et personne n'est épargné... Surtout pas Netflix. L'entreprise, qui n’avait certainement pas besoin de nouveaux problèmes, tombe encore plus bas. Confronté à cette situation impossible, Reed Hastings doit prendre des décisions drastiques pour assurer la survie de l'entreprise. Au bord de la faillite, Netflix doit se réinventer. Quelle innovation proposer? Quel produit inventer? Quel service introduire? Rien de tout cela. La révolution de Netflix va être une révolution… RH.
Épisode 4 — Le mal nécessaire
Acculé par les dettes, Reed Hastings va prendre l'une des décisions les plus difficiles, et déterminantes, de sa carrière : licencier un tiers des effectifs de Netflix. Cette démarche difficile, prise dans un contexte de crise financière, avait pour but de recentrer les ressources sur les employés les plus performants et créatifs.
Contre toute attente, cette période charnière donne un nouveau souffle pour l’entreprise. L'atmosphère chez Netflix s’améliore de manière surprenante. L'entreprise est revitalisée par un regain d'idées originales et d'enthousiasme, les employés restants se sentant plus investis et valorisés. Plus tard, Hastings déclarera que cette décision a été l'une des meilleures de sa carrière professionnelle.
Épisode 5 — La densité de talent
Au milieu du tumulte, Hastings a développé une philosophie de gestion des ressources humaines centrée sur la "densité de talent". Cette approche impliquait de ne retenir que les employés les plus performants, créant ainsi une culture d'excellence et d'innovation. Hastings a expliqué que cette concentration de talents a permis à Netflix de progresser rapidement, avec des employés capables de générer des idées innovantes et de les mettre en œuvre efficacement. Voici quelques principes de la densité de talent.
- Remarquable vs acceptable: Hastings procède brutalement, en classant les employés en deux catégories. Une colonne remarquable, une autre acceptable. Les premiers sont gardés, les autres sont virés. Il s'explique dans un essai La règle? Quelles règles? Les employés acceptables ont besoin d'être dirigés, et font perdre temps et argent à la compagnie, alors qu'un employé remarquable est plus productif et peut apporter plus de valeur que plusieurs employés moyens. En contrepartie, il faut donner de la liberté aux employés remarquables. Beaucoup de liberté!
- Rémunération compétitive: Pour attirer et retenir ces talents, Netflix offre des salaires très compétitifs. Cela reflète la conviction que de payer plus pour des employés de haut calibre est un investissement rentable.
- Culture d’excellence: La culture d'entreprise chez Netflix est axée sur l'excellence. Cette approche est incarnée par leur fameuse politique de Keeper Test, où les managers sont encouragés à réfléchir si, en cas de démission d'un employé, ils feraient de grands efforts pour le retenir. Si la réponse est négative, alors l'employé pourrait ne pas être considéré comme un keeper.
- Responsabilité et liberté: Netflix promeut une culture de liberté et de responsabilité, donnant aux employés beaucoup d'autonomie dans leur travail. Cela nécessite un niveau élevé de confiance dans la capacité des employés à prendre des décisions judicieuses sans supervision constante.
- Environnement stimulant: La théorie suggère que travailler parmi des collègues très compétents crée un environnement stimulant et dynamique, encourageant l'innovation et la créativité.
- Gestion des performances: Netflix est également connu pour sa gestion stricte des performances. Les employés qui ne répondent pas aux attentes élevées peuvent être libérés pour maintenir la densité de talent élevée.
Erin Meyer — professeure en management interculturel et co-autrice du livre de Hastings — l'explique autrement dans ces termes : les entreprises ont l'habitude de traiter leurs employés comme des enfants, en exigeant toutes sortes d'autorisations pour toutes sortes de décision. Netflix traite ses employés comme des adultes. Ils sont libres de prendre leurs décisions. Libres dans leurs arbitrages. Libres dans leurs dépenses. Libres dans leurs avantages, comme les comptes de dépenses. Mais gare à celui qui profite de cette liberté indûment. "Il faut les virer avec fracas, et en faire des exemples pour dissuader les autres de mal se comporter", ajoute Hastings.
Les entreprises ont l'habitude de traiter leurs employés comme des enfants.
Erin Meyer — professeure en management interculturel
Ce climat hyper libéral est aussi une fabrique à tyrans. La culture du tout performant a entraîné de nombreux employés à démissionner, écœurés par le climat toxique de l'entreprise. Même le co-fondateur de Netflix, Marc Randolph, a plié bagage en 2002, en affirmant "j'aime Netflix, mais je n'aime plus y travailler".❷
Une approche à double tranchant, donc. D'un côté, un environnement de travail de haut niveau, innovant et performant. De l'autre, une pression intense et une culture de travail potentiellement toxique. À ne pas imiter sans précautions, donc.
Épisode 6 — La révolution du streaming
Cette équipe densifiée va embrasser la révolution de l’Internet haute vitesse et concrétiser le streaming, transformant radicalement l'industrie du divertissement. Cette transition a permis à Netflix de s'étendre au-delà de la location de DVD, offrant un accès instantané à un large éventail de contenus et inaugurant une nouvelle ère dans la consommation de médias. Netflix et ses 600 000 abonnés sont fin prêts pour révolutionner le secteur. L'entreprise se tourne alors vers le NASDAQ pour financer son destin. L'entrée en bourse est actée le 23 mai 2022.
Épilogue — Le véritable talent de Netflix
Il serait réducteur de définir Netflix comme un champion de l’innovation technologique, ou même logistique. L'envoi par correspondance, l’adoption du DVD, l’invention des abonnements illimités et même le streaming n'auraient pas, seuls, suffi à faire émerger la multinationale. Le véritable talent de Netflix, c’est le sang-froid, c’est leur capacité à contourner les obstacles, à transformer les défis en opportunités, et la 💩 en 🥇.
Résumé des épisodes
- 1997 : Fondation de Netflix par Reed Hastings et Marc Randolph, début comme service de location de DVD par correspondance.
- 1999 : Introduction de l'abonnement mensuel, permettant des locations illimitées sans frais de retard.
- 2000 : Proposition de vente à Blockbuster pour 50 millions de dollars, qui a été refusée.
- 2002 : Introduction en bourse (NASDAQ: NFLX).
- 2003 : Première année rentable, avec plus de 600 000 abonnés.
- 2007 : Lancement du service de streaming, marquant le début de la transition vers une plateforme de streaming numérique.
- 2010 : Expansion au Canada, première incursion hors des États-Unis.
- 2011 : Expansion en Amérique latine et dans les Caraïbes, annonce de la séparation des services de DVD et de streaming (qui a été rapidement annulée en raison de réactions négatives).
- 2012 : Première incursion dans le contenu original avec "Lilyhammer", expansion en Europe (Royaume-Uni, Irlande).
- 2013 : Lancement de séries originales à succès comme "House of Cards" et "Orange is the New Black", première nomination aux Emmy Awards.
- 2014 : Introduction de la 4K Ultra HD, expansion importante en Europe (pays supplémentaires).
- 2015 : Expansion mondiale avec des lancements en Australie, Nouvelle-Zélande, Japon, et autres, première production d'un film original, "Beasts of No Nation".
- 2016 : Disponible dans plus de 190 pays, introduction du téléchargement hors ligne pour certains contenus.
- 2017 : Premier film original Netflix nominé aux Oscars, "Mudbound", investissement de 6 milliards de dollars dans le contenu original.
- 2018 : Netflix dépasse les 100 millions d'abonnés, introduction de fonctionnalités interactives, comme dans "Black Mirror: Bandersnatch".
- 2019 : Lancement de titres à succès comme "The Witcher" et "Stranger Things 3", confrontation accrue avec les nouveaux services de streaming (Disney+, Apple TV+).
- 2020 : Impact de la pandémie de COVID-19, entraînant une hausse des abonnements, controverses autour de certains contenus, comme "Cuties".
- 2021-2023 : Adaptation aux changements du marché du streaming, avec des défis tels que la saturation du marché et la concurrence accrue, focus sur la diversification du contenu et l'expansion dans des marchés non anglophones, introduction de nouvelles stratégies de tarification et de modèles d'abonnement.
Happy ending
Pour finir, voici les derniers chiffres de Netflix.
- Abonnés : Netflix compte 247,15 millions d'abonnés payants dans le monde au troisième trimestre de 2023, en hausse de 8,76 millions d'abonnés par rapport au trimestre précédent.
- Revenus : Netflix a généré 24,891 milliards de dollars de revenus au cours des trois premiers trimestres de 2023 et s'attend à générer 8,69 milliards de dollars au quatrième trimestre.
- Répartition des abonnés : Environ 65% des consommateurs de Netflix sont situés en dehors des États-Unis et du Canada.
- Temps d'écran : Netflix est responsable de 7,8% du temps d'écran aux États-Unis.
- Plan soutenu par la publicité : Netflix a lancé un plan soutenu par la publicité en 2022, qui compte désormais 15 millions d'abonnés.
- Récupération des abonnés : Netflix se remet de la perte de 1,17 million d'abonnés au cours des deux premiers trimestres de 2022, notamment causés par la "chasse au partage de mot de passe".
Ce qu'il faut retenir
La révolution RH de Netflix, caractérisée par sa culture unique et son approche innovante de la gestion des talents, a eu un impact profond non seulement sur l'entreprise, mais aussi sur l'industrie dans son ensemble. En transformant les défis en opportunités, Netflix a non seulement survécu à la bulle Internet, mais est devenu un leader mondial du divertissement en ligne, influençant la manière dont les entreprises envisagent la gestion des ressources humaines et la culture d'entreprise.
Gaëtan est le fondateur de Perrier Jablonski. Créatif, codeur et stratège, il est aussi enseignant à HEC (marque-média), à l'École des Dirigeants et à l'École des Dirigeants des Premières Nations (pitch, argumentation). Certifié par le MIT en Design Thinking et en intelligence artificielle, il étudie l'histoire des sciences, la philosophie, la rhétorique et les processus créatifs. Il est l’auteur de deux essais et d’une centaine d’articles sur tous ces sujets.
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Bibliographie et références de l'article
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